Les IPA libéraux font face à des défis majeurs : autonomie vs coopération. Découvrez leur réalité terrain et les solutions pour l’avenir. Les IPA libéraux face aux défis du terrain
Les IPA libéraux face à la réalité du terrain : entre autonomie rêvée et coopération indispensable
Il y a dans le mot “autonomie” quelque chose qui fait rêver. Quand on pense à l’infirmier ou l’infirmière en pratique avancée (IPA), on imagine tout de suite un professionnel libre, reconnu pour son expertise, acteur central du parcours de soins. Sur le papier, le modèle est prometteur. Dans les faits, c’est plus nuancé. Parce que sur le terrain, c’est souvent une autre histoire… celle d’un métier en pleine construction, où chaque IPA libéral(e) apprend à composer avec les réalités d’un système de santé encore hésitant à lui laisser toute sa place.
Depuis la mise en place du statut d’IPA en 2018, la France a voulu réinventer la manière de soigner, en confiant davantage de responsabilités aux infirmiers expérimentés. L’idée : répondre à la pénurie médicale, fluidifier les parcours de soins, améliorer la prévention et le suivi des maladies chroniques. Dans les hôpitaux comme dans les structures de soins primaires, le rôle de ces professionnels est appelé à devenir central. Et pour celles et ceux qui choisissent l’exercice libéral, l’enjeu est encore plus fort : être à la fois soignant, coordinateur, chef d’orchestre et parfois même pédagogue auprès d’un système qui peine encore à les comprendre.
Le quotidien d’un acteur clé des soins de proximité
Sur le terrain, l’IPA libéral(e) incarne une nouvelle façon de soigner. Il ou elle suit des patients atteints de maladies chroniques stabilisées — diabète, insuffisance cardiaque, pathologies respiratoires — tout en assurant la prévention, l’éducation thérapeutique et la coordination entre les différents acteurs de santé. Dans les maisons de santé, les centres de santé ou les CPTS, sa présence devient vite précieuse : c’est souvent grâce à l’IPA que les patients sont mieux orientés, que les bilans sont suivis, que les soins ne tombent pas entre deux chaises.
Beaucoup d’IPA racontent combien ce lien privilégié avec les patients est ce qui donne tout son sens à leur pratique. Pouvoir prendre le temps, écouter, accompagner sur la durée, adapter les traitements, repérer les signaux faibles avant qu’ils ne deviennent des urgences — voilà ce qui motive ces professionnels à se lancer dans l’aventure libérale. Mais cette autonomie, chèrement acquise, se construit pas à pas. Car exercer en libéral, c’est aussi apprendre à jongler avec les contraintes administratives, économiques et parfois relationnelles qui entourent ce nouveau métier.
Le rêve d’autonomie, la réalité des obstacles
Beaucoup d’IPA confient que l’installation en libéral a été un choix de cœur, mais aussi un pari risqué. Car si la liberté d’organisation séduit, elle vient souvent avec son lot d’incertitudes : absence de convention spécifique, rémunération encore floue, manque de visibilité… À ce jour, à peine plus de 300 IPA exercent en libéral en France. Un chiffre dérisoire quand on pense aux besoins réels du terrain.
La raison ? Un enchevêtrement de freins bien connus : formation longue et coûteuse, difficultés à constituer un fichier actif suffisant de patients, reconnaissance encore timide du corps médical… Beaucoup se heurtent aussi à des blocages techniques : logiciels métiers non adaptés, ordonnances sécurisées difficiles à obtenir, problèmes administratifs récurrents. Bref, tout ce qui complique un quotidien déjà bien chargé.
Et puis, il y a le regard des autres. Certains médecins accueillent les IPA à bras ouverts, conscients de leur rôle clé pour alléger la charge de travail et fluidifier le parcours de soins. D’autres, en revanche, se montrent plus réservés, parfois méfiants, par peur d’une concurrence implicite ou d’une confusion des rôles. “Sur le terrain, tout dépend des gens avec qui on travaille”, confie une IPA. “Certains médecins comprennent tout de suite qu’on n’est pas là pour les remplacer mais pour les épauler. D’autres… il faut du temps, beaucoup de pédagogie et de confiance.”
Un modèle économique encore fragile
Sur le plan financier, la pratique libérale en IPA reste un véritable défi. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une perte moyenne estimée à 30 000 euros par an après l’installation, faute d’une patientèle suffisante pour équilibrer le modèle. Les forfaits conventionnels ne permettent pas toujours d’atteindre le revenu espéré, autour de 3 000 euros nets mensuels — un seuil rarement atteint, même pour les plus investis.
À cela s’ajoute le coût de la formation : plus de 700 heures de cours, 840 heures de stage, et souvent une facture dépassant les 20 000 euros. Même avec les aides financières prévues (jusqu’à 40 000 € dans certaines zones), la marche reste haute. Beaucoup d’infirmiers hésitent à franchir le pas, par peur de perdre en stabilité. Et on les comprend : difficile de tout miser sur un modèle encore en construction.
Pourtant, malgré ces obstacles, nombreux sont ceux qui persistent. Par conviction. Parce qu’ils croient profondément en cette évolution du métier, en cette idée que l’infirmier ou l’infirmière peut être autre chose qu’un exécutant. Qu’il ou elle peut évaluer, décider, prescrire dans son champ de compétence, et surtout accompagner les patients dans la durée.
Une évolution profonde du métier infirmier
La pratique avancée, c’est plus qu’une extension de compétences : c’est une véritable transformation identitaire du métier infirmier. Les IPA ne “font pas un peu plus que les autres”, ils exercent autrement. Leur rôle repose sur la réflexion clinique, la décision argumentée, la prévention et la coordination. En clair, ils pensent les soins autant qu’ils les réalisent.
Dans un système de santé sous tension, où les médecins généralistes manquent cruellement et où les patients chroniques sont de plus en plus nombreux, les IPA représentent une bouffée d’air. Ils permettent de désengorger les cabinets médicaux, d’assurer une continuité de soins, de limiter les hospitalisations évitables. Bref, ils contribuent à maintenir le système à flot, avec une approche humaine et pragmatique du soin.
Mais la reconnaissance tarde à suivre. Si la loi de 2025 a marqué un tournant — avec la primo-prescription désormais autorisée dans certains cas, l’accès direct élargi et la possibilité d’initier certains traitements sans validation médicale préalable —, dans la pratique, les choses avancent lentement. Les listes de médicaments restent limitées, la concertation avec les médecins demeure obligatoire dans la plupart des situations, et la marge de manœuvre réelle reste étroite.
L’autonomie encadrée : un équilibre fragile
Oui, l’IPA libéral(e) gagne en autonomie, mais cette autonomie reste “coordonnée”. C’est-à-dire qu’elle ne s’exerce jamais seule, mais toujours dans une logique de partenariat. L’IPA informe le médecin traitant, partage les décisions cliniques, ajuste les prescriptions dans son domaine. Il n’agit pas en solo, mais en équipe. Et au fond, c’est ce qui fait la richesse du métier : cette collaboration au service du patient, cette intelligence collective qui évite les ruptures de parcours.
Dans une maison de santé en Occitanie, par exemple, une IPA raconte comment elle travaille main dans la main avec les généralistes : “On se parle tous les jours, on échange nos observations, on ajuste les suivis. Les assistantes médicales nous orientent les bons patients, et moi je renvoie les cas complexes aux médecins. Résultat : moins d’attente, plus de réactivité, et surtout des patients qui se sentent vraiment accompagnés.”
Ce type d’organisation, fondé sur la coopération, montre à quel point la réussite du modèle IPA dépend du climat de confiance. Sans cette confiance, rien ne tient. Et c’est sans doute là le plus grand défi du métier : convaincre, expliquer, créer du lien.
Le regard des politiques : entre ambitions et décalage
Côté institutionnel, le discours est flatteur. Le ministère de la Santé présente les IPA comme la solution miracle : un moyen de désengorger le système, de renforcer les soins de proximité, de valoriser la profession infirmière. Mais sur le terrain, beaucoup de professionnels ont le sentiment que les belles intentions ne suffisent pas. Les chiffres stagnent, les moyens restent insuffisants, les freins administratifs persistent. Le contraste entre la communication politique et la réalité vécue crée une certaine frustration.
Les syndicats médicaux, eux, ne manquent pas de pointer du doigt le “coût” du dispositif au regard du faible nombre d’IPA installés. Certains parlent même d’un effet d’aubaine sans réel impact sur l’accès aux soins. D’autres craignent que la montée en puissance des IPA brouille la frontière entre les métiers, au risque d’affaiblir la cohérence du suivi médical.
Mais pour les IPA eux-mêmes, le débat dépasse ces querelles de territoire. Ce qu’ils veulent, c’est du concret : un modèle économique viable, un cadre clair, et surtout une reconnaissance à la hauteur de leur engagement.
Une reconnaissance qui se construit pas à pas
Sur le terrain, l’accueil des IPA libéraux est contrasté. Dans certaines régions, l’intégration se fait naturellement. Dans d’autres, c’est plus compliqué. Certains médecins se montrent curieux, intéressés, voire enthousiastes ; d’autres, plus réservés, ont besoin de temps pour apprivoiser ce nouveau rôle. Les IPA, eux, apprennent à “faire leur place”, à expliquer leur métier, à rassurer, à démontrer leur utilité. Cela demande de l’énergie, de la patience, et une bonne dose de conviction.
Beaucoup racontent combien il a fallu “expliquer, encore et encore”. Expliquer aux patients que non, l’IPA ne remplace pas le médecin, mais qu’il peut assurer le suivi de certaines maladies chroniques. Expliquer aux collègues que la collaboration ne diminue pas les uns pour valoriser les autres, mais qu’elle renforce tout le monde. Expliquer enfin aux institutions que la santé de proximité ne peut pas avancer sans soutien concret.
L’avenir : entre espoir et vigilance
L’année 2025 marque une étape importante : la loi du 27 juin et les nouveaux décrets élargissent les prérogatives des IPA, notamment en libéral. Accès direct, primo-prescription, rôle accru dans les CPTS… tout semble se mettre en place pour leur donner la place qu’ils méritent. Mais encore faut-il que cette reconnaissance s’accompagne des moyens nécessaires : financement, outils adaptés, simplification administrative, rémunération juste. Sans cela, le risque est grand de voir le modèle s’essouffler avant même d’avoir pris son véritable envol.
Les IPA ont prouvé qu’ils pouvaient transformer les soins de proximité. Les expériences menées dans certaines régions sont concluantes : meilleure coordination, baisse des hospitalisations évitables, satisfaction accrue des patients. Tout est là pour réussir. Il reste à bâtir un cadre qui rende cette réussite durable et équitable.
En conclusion : un métier en devenir, une aventure humaine
L’IPA libéral(e), c’est un peu le symbole d’une santé en mouvement. Un métier jeune, encore en quête de stabilité, mais déjà porteur d’un souffle nouveau. Derrière les textes de loi, les sigles et les chiffres, il y a des femmes et des hommes passionnés, qui croient en ce qu’ils font, qui expérimentent, tâtonnent, construisent.
Oui, il reste des obstacles : économiques, administratifs, culturels. Oui, la route est encore longue avant que le modèle ne s’impose pleinement. Mais sur le terrain, chaque IPA qui s’installe, qui crée du lien, qui prouve par l’exemple que ça fonctionne, fait avancer tout le système.
Et peut-être qu’un jour, on regardera cette période comme celle où tout a commencé. Celle où les IPA libéraux ont ouvert la voie à une autre façon de soigner : plus humaine, plus proche, plus intelligente. Celle d’un système où le mot “coopération” n’est plus une contrainte, mais une évidence.
Parce qu’au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : soigner ensemble, avec confiance et respect, pour que chaque patient trouve sa place dans un parcours fluide, cohérent et bienveillant.
Et dans cette histoire, les IPA libéraux ont déjà commencé à écrire les premières lignes.
TOUT SAVOIR SUR LA FORMATION DES IPA : FORMATION IPA
TOUTE LA LÉGISLATION SUR LE MÉTIER D’IPA : LÉGISLATION
Les sources pour l’écriture de cet article :
Les compétences élargies de l’Infirmier en Pratique Avancée (IPA) en France
IPA en libéral : un modèle qui questionne l’efficacité des politiques publiques
L’IPA Guide implantation en soins primaires ( GUIDE DE L’ARS)
Accès direct des patients aux infirmiers en pratique avancée
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